dimanche 26 avril 2009

Au comptoir

Après quelques bières il fanfaronne parmi deux ou trois camarades de comptoir, parlant fort, alcool et vanité liés dans son verbiage : un de ces moments d’ivresse autant éthylique que sociale, parlant beaucoup, racontant brillamment et très vite un peu n’importe quoi, ses mains dansant devant son visage, rythmant nerveusement son propos décousu, en permanence digressif, parfois intelligent, toujours très allusif. Les autres l’écoutent par moment distraitement, d’autres fois pas du tout, de temps en temps vraiment, comme à tour de rôle, et parfois lui répondent. La plupart du temps pour se faire couper la parole.

Des idées en troupeaux anarchiques se bousculent, des idées vieilles de vieilles discussions, méditées pour certaines, répétées bien souvent, mêlées à des idées fraîches et neuves, pas encore vérifiées, presque expérimentales, recherchant leur effet. Des paradoxes combien spirituels revenus comme par hasard dans les lieux les plus communs, des poncifs arrachés violemment à leur perspective habituelle. Une diarrhée dorée coulant d’une corne de cocagne à bon marché. Ou quelque chose comme ça.

Le plus souvent il s’adresse à son voisin de droite, un silencieux qui semble intéressé. Le genre de type qui aime la fréquentation des bavards parce qu’ils n’aime pas parler. Et puis celui-ci est amusant. Il joue là ses meilleurs sketchs, dans une volonté évidente de séduire autant celui à qui il parle que celle qui se tient assise sur le tabouret de gauche et à laquelle il tente d’avoir l’air de ne pas s’intéresser – ce qui, hélas, réussit plutôt bien.

Son interlocuteur, si l’on peut dire, a un certain talent, comme oreille. Lorsque le monologue s’épuise ou hésite, ou que le parleur ménage une pause dans son discours histoire de se dire qu’il laisse parler les autres ( n’allons pas jusqu’à l’imaginer écoutant qui que se soit dans ces moments là), lorsque alors il se tait, que ce silence traîne un peu en longueur - car après un tel flot n'importe qui se retrouverait un peu à sec, son accoucheur bénévole l’aiguillonne par une question, une opinion facile à démonter, une blague quelconque, parfois même une anecdote ou un raisonnement complets, jamais bien longs, juste ce qu’il faut pour alimenter le moulin.


Sans doute devient-il assez saoulant à force, lorsque sa réserve se réduit, que certaines de ses pensées reviennent, et qu’on a conservé avec lui une simple relation de comptoir. Mais il y a chez lui une capacité à accepter cette idée même, qui fait qu’il lui arrive d’interrompre le flot par une pirouette, par exemple un « c’est pas intéressant, hein ?» à la tonalité plus résignée qu’interrogative. Un certaine pudeur, ou en tout cas la volonté de ne pas être désagréable, voire même un sentiment de responsabilité, d’obligation morale à être distrayant, où à ne pas être. Ce qui semble disproportionné.

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