mercredi 12 février 2020



En courant elle sent la main de sa mère qui conduit doucement son épaule, son regard qui lui suggère la bonne posture, la bonne vitesse, le geste juste, ces images, ces sons, ces odeurs même, ces perceptions que sa mère savait lui faire sentir et méditer, dans lesquelles elle lui apprenait à se couler et à agir, la morsure délicate d'une racine au pied bien incliné, la caresse d'une branche frôlée, l'ivresse calme de la chute prévue, tout est là qui accompagne sa course, cette danse qu'elle a si souvent répétée sans jamais vraiment réaliser qu'elle était celle d'une fuite définitive.

Elle court encore longtemps une fois la rivière traversée, mais de moins en moins vite, de plus en plus prudemment. La peur pourtant s'efface à mesure que l'ombre des arbres s'épaissit, et que s'éloigne la vraie menace.
La forêt est de plus en plus noire, profonde et rassurante, les hommes en armes sont de plus en plus loin, tournant avec leurs chiens après une proie maintenant inatteignable. La forêt leur est menace, ils ne s'y aventureront qu'avec de quoi couper, tuer, arracher, exorciser tout ce qui les cerne.

Elle s'arrête enfin au pied du grand arbre, reste un moment encore en alerte, puis, recroquevillée autour du sommeil qui doucement envahit son souffle et les battements de son cœur, elle s'endort où la peur les attend.


Ce qui arrive était prévu, elle était préparée.
Ils ne l'attraperont pas, il n'en sont pas capables.
Sa mère savait que cela pouvait arriver, qu'ils pouvaient très vite se retourner contre ce avec quoi ils vivaient tranquillement jusqu'à présent, au moindre vent mauvais. Croire qu'en éliminant ce qu'ils imaginaient être la cause de leurs souffrances, ils éliminerait cette souffrance. Que s'il y avait douleur, il y avait faute, et fautif. Et que leur position ambiguë, marginale, à la fois dehors et dedans, faisait d'elles des coupables faciles à fabriquer et à détruire.











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